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Angelo Romero
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Trouvaille intéressante Dim 13 Juin - 1:43


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Lundi 23 décembre 2013
Maman… Où est ma maman ? Je ne la trouve nulle part. J’étais avec elle quand on est allé voir ce… ce… … C’était quoi déjà ? J’étais chez un homme. Je me souviens à peine de son visage et je n’ai pas envie de m’en rappeler. Quand j’y repense, j’ai juste la nausée. Il était plus grand que moi, mais je pense que c’est normal étant donné que je suis encore un enfant. Ça me fait quel âge déjà ? Si je me rappelle bien… j’avais quatre ans quand ma maman m’a laissé avec le salopard. Je ne sais pas. Je n’arrive pas à compter. J’ai dû perdre le fil, comme maintenant. Je ne sais pas cela fait combien de temps que je suis en train de marcher dans les rues. Je voulais partir loin de là où il m’a laissé. Je crois que c’était à cause de tout ce qu’il m’a fait. Mais ce n’est pas tout. … C’était quoi déjà ? Le doute est toujours présent. Mais, au pire, ce n’est pas le plus important. Je dois manger. Je n’ai pas spécialement faim, mais je ne veux pas mourir non plus. Il faut que je trouve ma maman après tout. Elle doit beaucoup s’inquiéter…

Il fait froid dehors. Quand je souffle, cela fait de la buée sur les vitres et il y a de la fumée qui sort de ma bouche. C’est marrant, on dirait que je fume comme certaines personnes que je croise. Ces derniers ont de la chance car ils n’ont pas l’air d’avoir si froid même si je les entends se plaindre. En plus, de ça, il ont des habits chauds, eux ! Personnellement, j’ai été jeté seulement avec une sorte de blouse pas belle et tâchée. Elle a des trous dans le dos. Je n’avais même pas de pantalon. En cherchant un peu là où je pouvais, j’ai trouvé un pantalon avec d’autres vêtements dans un sac. il était le seul habit à ma taille. Et encore, il ne tient pas bien. Je suis obligé de le faire tenir avec une corde bien serrée au niveau de ma taille. Puis, plus tard, j’ai trouvé une sorte de veste. Elle est pour les adultes et elle est rose, mais je l’ai quand même mise pour pas avoir trop froid. Je n’ai pas de chaussures et j’ai très mal aux pieds. Mais je n’arrive pas à trouver quelque chose pour moi… Peut-être que les gens ne pensent pas aux enfants comme moi ? Pfff… Quelle bande de méchants !

Il y a de plus en plus de lumières dans la ville. Je me demande pourquoi ? Au pire, c’est marrant de les regarder et de deviner ce que cela représente. Il y en a, ce sont des flocons de neige, d’autres des sapins avec des étoiles… J’aime beaucoup ! Mais ce que je préfère, c’est regarder les vitrines des magasins de jouets. Il y a beaucoup de figurines qui me font envie et il doit faire chaud dedans, en plus !  Mais on ne me laisse pas rester longtemps … Ils n’aiment pas quand je suis là parce que, de ce que j’ai pu comprendre, je fais fuir leurs clients. Pourtant, je vois toujours beaucoup de monde près de leur boutique. C’est bizarre et ça me met en colère. Je ne les aime pas ! Mais bon… Là, je dois manger, donc je ne m’attarde pas. Je me demande ce qu’il y a dans les paquets que portent certaines personnes. Certains sont gros, d’autres sont dans des sacs pour les porter plus facilement. Je me demande pourquoi il y en a autant… Ça me rappelle quelque chose, une idée. C’est trop loin, je n’arrive pas à me rappeler. Bof, ce n’est pas grave.

Finalement, j’arrive aux alentours d’un restaurant. Ca sent trop bon les frites. Et la viande aussi je crois. Mais je ne rentre pas dedans. Au lieu de ça, je vais dans la ruelle à côté pour chercher les poubelles. J’espère qu’il y a quelque chose de bon et chaud ! En attendant, je pense que je dois trouver quelque chose pour accéder au haut de la poubelle pour l’ouvrir et trouver ce qui pourrait me remplir l’estomac. Je regarde donc autour de moi ce qu’il y a : des sortes de bâtons tout fin, des briques… et des cartons. Je souris, tout content d’avoir trouvé quelque chose de bien. Dans la foulée, je vais les chercher en trottinant pour les empiler contre la poubelle. Tout fier, je regarde ma petite tour un instant, les mains sur les hanches, puis, je monte dessus pour ouvrir le couvercle. La caverne d’Ali Baba !! Mes yeux brillent et je salive tant ça a l’air bon. Je pousse donc vers le haut le truc lourd pour ne plus à avoir à le soulever tout le temps. Puis, je commence à regarder le choix que j’ai. Des frites, du pain avec de la viande, des trucs verts…

- Aïe !!!


Dans un gros bruit, le couvercle m’est tombé dessus, ce qui m’a fait mal. Je le trouve lourd en plus ! Je le regarde en grimaçant. Saloperie !! Comment faire ? En plus, je sens les cartons baisser sous mes genoux. Faut que je me dépêche à prendre ce que je veux. Je rouvre donc la poubelle pour recommencer à chercher ma pitance.
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(c) Angelo Romero
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La nuit tomba sur la banlieue et s'était déjà bien installée au point que la cime des arbres dénudés s'infiltra et se fondait dans un ciel gris-bleu froid. Je ne sais pas pourquoi, mais j'aime particulièrement ce genre de paysage. L'ambiance particulière qu'elle confère contribue à ma bonne humeur déjà bien installée. Le mois de Décembre ne fait pas toujours l'unanimité à cause de la précarité du temps instable, ce qui en découle plus ou moins directement beaucoup de baisse au niveau des affaires. Les gens sortent moins et donc, dépensent moins. Cependant, les périodes de fêtes annulent sûrement cette théorie car la galerie piétonne que je traverse est bondée de monde.

Je viens régulièrement ici pour faire du repérage. Recruteur des Crows, mes balades nocturnes font essentiellement partie de mon travail et être au bon endroit au bon moment demande une bonne dextérité de mouvement.

Quelques poches de courses en main, de quoi offrir un repas chaud à mon père, je continuai d'avancer en évitant la rivière de passants qui afflue dans le courant opposé. La distance entre la banlieue et le centre-ville est plutôt grande, ce qui implique fatalement beaucoup d'heures de marche avant de retrouver mon père.

Bientôt, une odeur certaine de friture emplit mes narines et je fis un court arrêt pour profiter des arômes, les yeux clos. Le fait que la vapeur de frites vienne chatouiller mon odorat, me donne l'illusion que j'en mange moi-même.

Un bruit répété de métal à mesure que j'avançai dans une allée réputée pour être un coupe-gorge me força à tourner la tête. Y a souvent des SDF qui fouillent dans les poubelles des commerçants et bien souvent, ces derniers s'affairent à les chasser à coup de balai. Il n'est pas rare que certains d'entre eux demandent aux gangs auxquels leur commerce appartient de les chasser, leur présence faisait fuir le client.

Je me détachai légèrement de la foule, souhaitant vérifier si tout allait bien. Peut-être que le restaurateur avait besoin de mes services.

Je me tins dans l'angle du bâtiment décrépi et n'articulai pas un muscle. La scène qui se déroulait devant moi est à peine croyable, surréaliste si j'ose dire. Pour dire vrai, si je la racontait au bar, on me dirait sûrement que j'ai trop bu. Un gamin qui a quoi... à peine neuf ans et qui est tout rachitique. Ses cheveux violets ne sont pas naturels et semblent presque cassés, comme du foin. Sans parler du fait qu'il soit pieds nus et seulement vêtu d'un sweat par-dessus un morceau de tissu immaculé qui dépasse.

Sa tour improvisée semblait instable, mais il a l'air assez agile, puisque même pas le couvercle rigide qui lui tomba sur la tête ne lui fit perdre l'équilibre.

Je m'accroupis sans un bruit et l'observai en silence, attendant qu'il me remarque. Le petit n'avait pas l'air d'être intéressé par son environnement, seulement sur son trésor. Je regardai autour de moi, rapidement, cherchant sa mère ou père mais ne vis que le reflet de l'échec. Juste des ombres longues, grimpantes, menaçantes, qui encadrent le reste de la venelle dans laquelle nous sommes tous les deux enfermés.

- Bonsoir.

C'est plus une manière de signaler ma présence qu'une simple formalité. Doucement, je lui montrai le sachet de pain fourré au fromage que je secouai pour donner un avant-goût de ma prochaine question.

- Tu as l'air d'avoir faim. Est-ce tu en veux ?

J'ai l'habitude de parler avec les enfants. Ils sont francs et souvent amicaux. Il est rare qu'ils refusent du contact et même s'ils décident de le faire, ils ne rejettent pas une présence silencieuse.

Je le laissai s'habituer à la situation à son rythme, de gérer l'information convenablement. Afin de montrer que je ne lui veux aucun mal, et que je ne vais pas lui bondir dessus, je m'assis complètement au sol, histoire de me donner de la difficulté pour me lever, plutôt que si j'étais ramassé sur moi-même. L'enfant dispose aussi d'une ouverture pour lui laisser une échappatoire si ma présence le met mal à l'aise.

Tranquillement, je dégageai le pain chaud du sac en plastique et le lui présentai, bras tendus. Craignant une hésitation de sa part, je vins croquer un morceau.

- Hmmmm... C'est très bon !

La contagion émotionnelle fera peut-être son effet.

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Lundi 23 décembre 2013
Ça sent trop bon tout ça. Ça cache les autres odeurs qui sont beaucoup plus mauvaises. Tant mieux !! Je n’aime pas du tout les mauvaises odeurs, même si celles-là ne sont pas les pires pour moi. Celles chez le monsieur étaient pires ! Enfin. On oublie ! Qu’est-ce que je vais choisir ? Qu’est-ce qui a l’air bon ? J’ai mal à la tête… Mmh… Les frites ont l’air pas mal mais je n’ai pas trop envie. Je ne sais pas trop pourquoi. Pourtant elles sentent bon. Le pain… … Lui c’est pareil. En fait, j’ai l’impression que rien ne me fait vraiment envie dans ce que je trouve dans la poubelle. Je me sens déçu, mais je ne compte pas abandonner. Voilà pourquoi je commence à fouiller comme je peux pour voir ce qu’il y a sous ce que je peux voir. Mais plus je “creuse”, pire c’est. Je pourrais ne plus avoir envie de manger si mon ventre n’était pas aussi bruyant ! Je soupire donc longuement. En plus, je crois que mon équilibre est de pire en pire sur les cartons.

Je suis en train de penser à abandonner, donc sortir ma tête de la poubelle, quand j’entends une voix. Je suis surpris. J’ai peur. Je perds mon équilibre. Les cartons se cassent sous mes jambes. En peu de temps, je sens le sol me cogner fortement. Ça fait mal ! Mais je n’arrive pas du tout à pousser un cri. J’ai le souffle coupé. Cela doit être parce que je suis tombé sur le dos à cause de la surprise. Je me relève rapidement, enfin, comme je peux, en me tournant sur le côté pour m’aider de mes bras. Qui m’a dit “bonjour” ? Ah non. C’était “bonsoir”. Pas grave, on s’en fou ! Je veux juste savoir qui c'est. Alors, je regarde l’homme, méfiant. Je bouge en même temps pour me cacher sans le quitter des yeux. Il a les cheveux courts et noirs. Il est grand aussi. Mais comme il fait sombre, je ne le vois pas bien. Je n’aime pas ça. Lui aussi il va m’emmener et me faire mal ? Lui aussi il va changer comment je suis ? Là, de toute façon, je ne peux pas partir. Il pourrait m'attraper. Que faire ?

Même si je ne peux pas voir les détails, il est évident qu’il me montre son sac plastique. Je me demande pourquoi et ce qu’il y a dedans. Et si je le volais ? Il y a peut-être quelque chose de bon à manger dedans ? Non ! Non, non, non, non ! Si je fais ça, il pourra m’attraper facilement ! Il faut que je reste caché ! Je secoue donc la tête pour m’enlever l’idée de la tête et regarde à nouveau le monsieur qui secoue le sac. Qu’est-ce qu’il y a dedans pour qu’il me le montre comme ça ? De la nourriture ! J’en suis sûr !! Oui, j’ai faim. Mais je ne lui dis pas. Tout comme je ne lui dis pas non plus que je veux ce qu’il me montre et qui est emballé. Je ne sais pas ce que c’est, mais j’en ai tellement marre de manger ce qu’il y a dans les poubelles que j’en ai rien à faire. Je veux ça ! Je le fixe donc pour guetter la moindre occasion de le lui chiper.

Pourquoi il s’assoit ? Je ne comprends pas pourquoi il fait ça. Mais il me semble qu’il ne peut pas se lever facilement comme ça. Du coup, je peux m’approcher juste un peu ? Je réfléchis un instant et, finalement, je sors simplement de ma cachette de fortune tout en gardant une main sur la très grosse poubelle. J’observe chacun de ses gestes et les traits de son visage qui me sont visibles. De ce que je peux voir, il n’a pas l’air en colère ou triste. … Je crois. Et ses gestes sont très doux. Comme s’il avait peur de casser quelque chose. Pourtant, il ne fait que sortir une sorte de pain du sac. Mon regard se porte un instant à côté de l’homme. Je crois que je peux passer après avoir pris le pain. Il veut me le donner donc il ne pourra rien dire. Enfin… je crois ? L’odeur du pain chaud est forte et se mêle à celle des frites. Je bave. D’un geste, je m’essuie la bouche avec ma manche. Je garde mon bras devant mon visage. En croquant dans le pain, il me donne encore plus faim !! C’est horrible !!! Il a tellement l’air de se régaler… Moi aussi je veux…

Doucement, je fais un pas, puis un autre, pour m’approcher de lui. Entre chaque avancée que je fais, je vérifie qu’il ne change pas sa manière d’être. Je surveille son visage, ses bras et ses jambes. Mais je crois qu’il ne bouge pas. Ou vraiment pas beaucoup. Je finis donc par être très près de lui. Mais pas encore assez pour qu’il puisse m’atteindre. Il faut que je fasse vite. Je prends le temps de calculer mon coup. Puis, très vite, j’attrape le pain dans un élan que je prends et bifurque immédiatement pour sortir de la ruelle en courant. La liberté !! Mais celle-ci ne va peut-être pas durer longtemps parce que je tombe alors que je ne suis pas très loin de lui. Je ne le regarde pas. Mon attention est sur le pain que j’ai lâché. Précipitamment, sans regarder où j’ai mal, je marche à quatre pattes pour prendre mon pain. Je le frotte un peu pour enlever les saletées et commence à le manger rapidement pour qu’on ne me le prenne pas. Il est à moi maintenant !! Mais… plus je mange, plus mes yeux coulent. C’est bon… Je voudrais que maman puisse manger ça aussi… En pensant à elle, oubliant de manger, je me mets à pleurer en sanglotant sans arriver à être totalement silencieux. Je n’aime pas être comme ça ! Mais… je veux ma maman…
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Le petit était méfiant et s'approchait à petits pas jusqu'au butin, comme si la terre pourtant humide et lisse brûlait ses pieds comme des charbons ardents. Je me demandai même s'il ne finirait pas par faire demi-tour au bout du compte.

C'est à peine si j'osai respirer à mesure qu'il progressait vers moi, le garçonnet à l'affût du moindre changement que ce soit dans ma respiration ou dans l'atmosphère de l'air. Plus loin, une moto vrombit et fusa aussi vite qu'elle était arrivée. La situation me tendit légèrement, mais je fis au mieux pour que le petit ne ressente pas ma crainte. Je pense que c'est raté, les enfants sont comme les animaux, ils ont un instinct hyper développé. Bien que je ne croie pas vraiment aux divinités supérieures, si ce n'est que quelques mythes celtes, je remercie pourtant le ciel de lui avoir donné assez de courage pour ne pas fuir immédiatement derrière les conteneurs.  

S'il me regarde droit dans les yeux, moi je baisse les miens pour ne pas le gêner dans sa progression. J'eus l'impression que notre échange silencieux dura une éternité, je pus même sentir mon sang ramper dans mes tempes ou mon cœur s'endormir lentement. Et alors qu'il fut plus qu'à quelques centimètres de moi, il bondit sur le sachet, m'arrachant ma pitance et s'enfuit immédiatement dans la galerie d'ombres remontant jusqu'à la civilisation; telle une comète dans un ciel d'hiver, consumé par sa propre énergie, comme s'il n'avait jamais existé.

Je pris appuie sur le sol à l'aide de mes deux mains, les graviers pointus et détrempés se coinçant inexorablement à mes paumes. Pendant que je partis à la recherche du petit avec un visage assez inquiet et curieux de découvrir sa nouveau planque, je frottai mes mains l'une contre l'autre, lâchant un panache irrégulier de petits cailloux annonçant de nouveau ma présence.

Je n'eus aucun de mal à le trouver, ni réduire la distance qu'il eut entre nous à cause de ses petites jambes et son incapacité à s'orienter. Il était là, couché sur le sol; tout juste éclairé par les lampadaires, les genoux à moitié raflés, à manger le pain comme si c'était la dernière portion de nourriture qui restait sur Terre. De nouveau, je me mis à sa hauteur, mais cette fois-ci, pas question de m'asseoir au sol, y a urgence !

Autour les gens passent, les gens courent, fuyant la pluie qui martèle le sol par des colonnes en diagonale. La pluie a toujours réussi à me calmer, irriguant ma peau et mon cerveau à travers mon cuir chevelu. Pour le coup, je ne réfléchis pas et fis tomber ma veste le long de mes bras pour la réceptionner avant qu'elle ne touche le sol.

Doucement, je l'appâtai avec des rapports verbaux rassurants.

- Eh bien dis donc.... Tu devais avoir vraiment faim !

Je tendis le linge au-dessus de sa tête, puis l'encadrai doucement autour de lui, de ses bras et de ses jambes, d'aussi loin que le tissu puisse me le permettre et surtout rapidement, il ne faudrait pas qu'il m'échappe de nouveau.

- Je te laisse le pain, mais dès que tu m'auras entendu, je pense que ce serait mieux si tu relevais. Est-ce que tu veux un peu d'aide ?

Les enfants de son genre sont très indépendants. Pour en avoir géré autant à l'orphelinat, je sais qu'ils détestent particulièrement qu'on leur apporte de l'aide directe puisqu'ils ne veulent ne rien devoir aux adultes, désireux d'être fiers de leur propre acte. Je me dis que c'est peut-être son cas, alors je tentai une seconde approche plutôt neutre, conservant les lignes de communication ouvertes.  

- Comment tu t'appelles ?

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Lundi 23 décembre 2013
Je me fiche pas mal de ce qui se passe autour de moi. Les adultes n’en ont absolument rien à faire de moi. A part peut-être l’homme qui m’a donné le pain. J’en sais rien. Il ne m’a pas du tout regardé dans les yeux quand je me suis approché de lui. Et, aussi, il n’a pas parlé et pas bougé. Mais je sais qu’il n’était pas calme non plus. Je ne sais pas comment l'expliquer, mais je pense qu’il avait peur de quelque chose. Au pire, comme ça n’a rien à voir avec moi, j’ai préféré m’en aller le plus loin possible pour manger sans qu’il m’attrape. Je suis content qu’il ne m’ait pas attrapé. Je ne veux plus aller avec un plus grand. Sauf si c’est ma maman. Elle me manque… J’ai peur quand elle n’est pas là car elle me disait quand les autres adultes étaient gentils ou méchants. Maintenant je ne sais pas dire et beaucoup semblent méchants, surtout avec moi. Je pleure mais j’essaie de ne pas le montrer. La pluie coule sur mes cheveux et mon visage. Je n’ai rien pour me protéger. Les vêtements que j’ai sont tout mouillés. Je n’aime pas du tout la sensation mais je ne peux pas me mettre tout nu. Je suis à genoux et j’essaie de me calmer, de ne plus pleurer. J’ai encore faim… Il faut encore que je mange.

Sans regarder les autres, je mords à nouveau dans le pain pour manger vite. Je pleure encore en mangeant. Je ne mâche pas vraiment ce que j’ai dans la bouche pour aller plus vite. Je ne le fais que lorsque c’est un peu trop chaud à l’intérieur pour que je puisse l’avaler tout de suite. Le fromage est tout fondant, fort mais très bon. Je veux continuer à le faire, mais il y a une voix qui parle de la faim. Je sursaute et je regarde la personne en tournant la tête pour vérifier que je ne suis pas en danger. Il faut que je me lève pour qu’on ne m’attrape pas. Mais je ne suis pas assez rapide. Je vois le monsieur qui m’a donné le pain près de moi. Il n’a plus son manteau comme avant. Il est dans sa main. C’est vrai quand il dit que j’ai très faim, mais pourquoi est-il là ? Je ne suis pas allé assez loin ? Il veut reprendre mon pain ?! Pour qu’il ne me le prenne pas, je serre contre ma poitrine ce qu’il me reste de mon pain et je regarde le monsieur aux cheveux noirs et courts en fronçant les sourcils. Je ne veux pas qu’il s’approche et qu’il revienne sur ce qu’il m’a dit avant. Il n’a pas le droit !

Je n’ai pas le temps de réfléchir quand il prend son manteau. Je n’arrive pas à bouger car je vois un peu le méchant monsieur. Ce n’est pas long. Juste un instant. Mais c’est assez pour le laisser poser le tissu lourd sur mes épaules sans que je bouge. Il ne me prend pas mon pain et il me parle comme avant, quand il me disait que je pouvais prendre ce que j’ai commencé à manger. Il me dit même que je peux le garder. Il est le premier à me dire que c’est bon, que je n’ai pas à “payer” ou à “rendre” ce que j’ai pris. Il ne me dit pas non plus que je dois partir et ne pas revenir. Je ne comprends pas pourquoi. Je le regarde et l’écoute sans rien dire. Je garde quand même le pain dans mes bras pour qu’il ne me le prenne pas quand même. Je ne veux pas qu’il m’aide non plus pour me lever, alors je fais “non” de la tête sans rien dire et je me lève comme je peux. Le manteau est lourd mais pas assez pour que je ne puisse pas bouger. Je m’aide d’une main que j’essuie sur mon pantalon après.

Le monsieur n’a pas l’air méchant. Mais j’ai quand même très peur qu’il soit comme le méchant monsieur qui m’a pris ma maman et qui m’a fait très très mal. Alors je recule un peu et je ne le regarde pas dans les yeux. Je surveille ses mains. S'il les tend vers moi, je recule encore. Je ne veux pas qu’il m’attrape. Mais j’écoute quand même ce qu’il dit. Il ne parle pas beaucoup, et je comprends assez bien ses mots. C’est quand même dur de lui répondre. Mon nom… Ça fait très longtemps que personne ne m’a appelé par mon prénom. Est-ce que celui auquel je pense est le bon ? Je n’en suis pas sûr, mais je crois que c’est comme ça que maman m’appelait avant :

- Ang… … Angelo…


Je n’aime pas parler. C’est difficile parce que je ne l’ai pas fait beaucoup pendant longtemps. Mais j’y arrive. Un peu. Et il y a quelque chose d’autre qui me gêne. De ma main gauche, je prends le manteau du monsieur pour l’enlever parce que je veux le lui rendre. Je suis déjà mouillé donc c’est pas grave si je ne me protège pas de la pluie. Lui, il était sec avant. Et, aussi, je ne veux pas qu’il me demande quelque chose parce qu’il m’a donné son manteau.
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(c) Angelo Romero
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Au moins, il me répondait et ne restait pas totalement muet lors de mes tentatives d'engager un dialogue avec lui. Comme il n'est pas toujours évident de savoir de quelle manière impliquer quelqu'un dans un dialogue lorsqu'on ne le connaît que très peu, cette vérité s'applique également aux enfants, bien que, d'une manière générale, ils ont plutôt la conversation facile ; ce qui n'est pas le cas de ce jeune garçon.

Sa voix fut enrouée, comme s'il avait un rhume mal soigné ou bien une autre maladie tout aussi infectieuse et virale qui puisse l'atteindre, probablement parce qu'il erre ici depuis bien trop longtemps. Ma priorité dès à présent ne fut pas le vent glacial qui fouettait sans pitié ma peau découverte ; mais bien la sécurité du petit.

- C'est un joli prénom.

Aussi doux que possible, mon sourire s'allongeait lui faisant directement comprendre mes intentions. Les enfants sont très sensibles à l'aspect du visage, car celui-ci ne ment pas ou que très rarement. Les phrases et les mots sont abstraits pour eux. Ils explorent leur monde physique sans aucune interprétation à travers des choses simples et je l'ai appris à mes dépendants à de nombreuses reprises à mon travail de bénévole.

Angelo ferme sa petite poigne contre ma vieille veste -que j'ai trouvé dans une décharge, moi aussi- avant de me la restituer, d'une manière aussi pure et innocente qu'elle soit. Peut-être qu'il n'a pas compris l'intérêt de mon prêt, puisque je ne lui eus pas donné d'indicateur de temps, c'est probablement de ma faute. Afin de lui faire comprendre mon refus d'accéder à sa requête, je garde mes bras autour de mes genoux, mes mains adjacentes coinçant mes coudes opposables.

- Non Angelo. Elle est pour toi. Elle est pour toi jusqu'à ce qu'on trouve un endroit où nous pourrons nous mettre au sec tous les deux.

Je sus que ce n'était pas peine perdue, qu'une pseudo-relation de confiance se tissait petit à petit, à mesure que nous échangions, même si peu. Le fait qu'il accepte de me dire son prénom, qu'il veuille me rendre la veste plutôt que de la garder pour s'y sentir en sécurité, indique pas mal de choses sur sa personnalité ; ou bien sur les conditions dans lesquelles il était tenu en vie autrefois. Peut-être ne l'a-t-il jamais connu, la sécurité.

Progressivement, je renverse ma main, paume vers le ciel, dans une invitation à me rejoindre. Je pus sentir les gouttes de pluie, larmes du tout là-haut, dégorgées sur ma peau pour venir tomber en lambeaux sur le goudron grisonnant. Les trous dans le sol décrépit se remplissent petit à petit, tout comme le reste de mes vêtements commencent à coller contre mon torse ou mes cuisses, tant la colère du ciel et du vent se déchaîne sans pitié sur la ville.

- Est-ce que tu aimes les frites ? Je connais un endroit où nous pourrions en manger. Des frites chaudes et salées.

Ma main lui est toujours offerte, signifiante que l'invitation n'expirait pas.

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Lundi 23 décembre 2013
N’est-il pas la première personne à me demander mon prénom depuis très longtemps ? Enfin, ce n’est pas comme si j’avais osé répondre avant. Le vilain bonhomme qui a pris maman et m’a fait du mal ne me l’a pas demandé. Je me rappelle qu’il ne me parlait même pas sauf pour m’ordonner de me taire ou de lui dire ce que je ressentais. Voir pour que je fasse un geste en particulier. Mais rien qui ne soit destiné à me connaître, me mettre à l’aise, me donner un sentiment de sécurité ou répondre à mes questions d’enfant apeuré par ce qui était en train de lui arriver. Je n’oublierais jamais les expressions de ce monstre incapable de sourire autrement que d’une manière cruelle, fausse. Rien à voir avec l’homme qui est accroupi en face de moi. Il me sourit comme ma maman quand elle voulait parler de mon papa avec moi, quand je lui demandais quand il allait rentrer à la maison. Et il ne peut pas m’attraper. Je peux fuir pour le moment. A moins qu’il soit vraiment très rapide. Mais, si je dois le faire, mieux vaut qu’il ait son manteau avec lui. En plus de ça, il va finir par avoir froid à cause de la pluie. Alors, je prends son manteau qui se trouve sur mes épaules et je le lui tends. J’espère qu’il va le prendre. Je ne veux pas lâcher le pain au fromage que je tiens encore contre ma poitrine même si je commence à avoir du mal à respirer.

Le monsieur ne bouge pas du tout. Il ne tend pas la main pour prendre son manteau qui me paraît un peu lourd, en plus d’être trempé par la pluie. Il me regarde et me dit “non”. Je ne comprends pas. J’ai fait quelque chose de mal ? Je le regarde en penchant un peu la tête. Je ne comprends pas ce qu’il attend de moi. Puis, je crois qu’il veut que je la lui donne plus tard. Il n’a pas l’air en colère, donc ça devrait être bon. Mais j’en fais quoi alors ? Je la lui porte ? Je ne veux pas la garder dans mes bras. Je regarde le tissu puis le ciel. C’est mouillé, mais moi je le serais beaucoup moins si je la mets au-dessus de ma tête que si les gouttes continuent de tomber sur ma tête, non ? Je réfléchis un peu avant d’essayer de manipuler le manteau d’une seule main. Je ne suis pas gaucher, mais je ne suis pas droitier non plus. Je sais utiliser mes deux mains de la même façon alors que ma maman ne savait pas utiliser sa main gauche en général. Je me débat donc un peu avec le tissu qui ne fait pas toujours comme je le veux, mais je finis par le mettre sur ma tête pour qu’il tienne sans que j’ai besoin de le tenir. Je surveille l’expression du monsieur pour savoir si je fais bien les choses, s’il est mécontent. Je ne veux pas qu’il me gronde comme le faisait le méchant monsieur qui m’a fait mal. Mais il ne bouge pas. Rien qui me dise que j’ai fait une bêtise en tout cas. Je me sens soulagé et mes épaules se baissent un peu même si j’ai un peu mal dans ma poitrine.

Je pense que je vais devoir partir. J’aime pas quand les adultes peuvent me voir comme ça. J’ai trop peur qu’ils fassent la même chose que j’ai vécu pendant longtemps. Je commence donc à regarder autour pour voir où je peux aller. Mais mon attention est attirée par un geste du monsieur qui me parle et qui m’a donné le pain. J’aimerais bien le finir, mais je n’ose pas. Je ne pourrais pas m’en aller rapidement si je mange. En plus de ça, il me tend la main, comme s’il me demandait de lui donner quelque chose. Pourtant, il ne veut pas de son manteau… Je serre un peu plus mon pain contre moi en fronçant les sourcils : je ne lui donnerais pas ! Il me l’a donné et il m’a dit que je peux le garder ! Alors je ne veux pas le lui rendre même s’il me le demande ! Mais ce n’est pas ça non plus. Il me parle de frites, comme l’odeur qui m’a attiré dans la poubelle que je fouillais quand il a commencé à me parler. Je le regarde, un peu surpris. Beaucoup de “pourquoi” se bousculent dans ma tête. Pourquoi il me donne à manger ? Pourquoi il reste avec moi ? Pourquoi il me donne son manteau ? Pourquoi il me tend la main comme ça ? … Je n’ose clairement pas lui demander.

Je réfléchis beaucoup et, voyant qu’il ne bouge pas du tout, je tends doucement ma main vers lui. J’hésite beaucoup. Je m’arrête à plusieurs reprises. Mais je finis pas placer doucement mes doigts dans sa main. Je m’attends à ce qu’il les referme de sorte à être certain de m’attraper sans me laisser m’enfuir. Je m’attends à ce qu’il me tire avec violence pour m’emmener là où personne ne pourra jamais m’aider et me sauver. Je reste donc sur mes gardes. Mais il n’en fait rien. Il est doux et son visage reste très calme, très doux, aussi. Et quand il se lève, c’est pareil. Il ne me tire pas. Il m’attend. Même si je marche doucement parce que je perds rapidement mon souffle. Moins, beaucoup moins qu’en courant, mais assez pour être très essoufflé. J’essaie de ne pas le montrer, mais c’est assez dur. Je ne veux pas montrer que je ne suis pas fort. Si je le montre, on ne sera pas gentil avec moi.
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Trouvaille intéressante

Nous avançons qu'à très petit pas, mais nous avançons, doucement, à notre rythme. Je réalisai mon erreur lorsque je tendis la main et qu'Angelo serra plus fort son pain contre sa poitrine en réponse. Mon geste, au début amical, était, à ses yeux, une tentative de vol : Pour lui, j'allais lui reprendre sa pitance.

Il n'obtint aucune réaction de ma part. Pas de précipitation, pas de sourire plus forceur, intrusif, ou d'autres paroles qui pourraient le rendre à nouveau confus. Au lieu de ça, ma respiration tenta d'appeler la sienne au calme et alors que patience et prévenance eurent raison de s'inviter, Angelo progressa vers moi.

Sa petite main entra en contact avec ma paluche balafrée sur le versant -blessure d'une bataille de gang- et je restai un moment sans rabattre mes doigts, l'habituant d'abord à cette première rencontre. Ma paume est plutôt chaude ; j'ai toujours été celui qui réchauffait les mains de mes camarades lors des hivers rudes aux bidonvilles, même mon père bénéficie toujours d'un traitement chaleureux à leur simple liaison. Bien mieux qu'un poêle à bois ou un plaid polaire, ça nous permet toujours de faire des économies.

Quand le regard d'Angelo me certifia qu'il était prêt, je me redressai lentement, vertèbres par vertèbres, mes doigts en dôme autour de sa main. Ils protègent de la pluie, assurent un certain soutien et promettent une fuite envisageable.  

Nous progressions dans un amas de gens, centre d'aucun regard. J'eus simplement l'air d'un père avec son fils ou d'un grand frère avec son cadet. Nous n'essuyons aucune remarque, même dans l'état pitoyable dans lequel se trouve le petit, car, à l'Ellipse, les problèmes des uns et des autres sont invisibles aux yeux de tous. Les gens préfèrent éviter ce qui les dérange et nous en faisons partie.

Ce phénomène sociétal nous confère un avantage puisque nous passons inaperçu dans la foule comme Monsieur et Madame tout-le-monde.

Je me calai plus sur son rythme que je le contrains à suivre le mien. Rituel tacite entre nous, Angelo accepta de me suivre jusqu'à la "Taverne." Ok c'est un pub irlandais, mais c'est le seul lieu où j'ai un réseau relationnel suffisamment large pour que le gérant accepte de sortir sa vieille friteuse et me fasse un prix pour le repas du petiot. Ce n'est pas comme si manger était fondamentalement prohibé par le règlement intérieur de l'établissement.

On doit descendre des marches en pierre pour accéder à la bâtisse tapie en contrebas. Sa plutôt mise à l'écart est volontaire, elle semble être visible uniquement par les adeptes de la vibes ireland.  

Alors que je poussai la porte de mon coude et de mon genou, je le laissais entrer avant moi, refermant la porte à mon passage. L'atmosphère chargée de musique celtique nous harponne instantanément. Les instruments de bodhran, de fiddle et d'accordéon diatonique se mélangent aux conversations tout autour. Les sessions musicales durent jusqu'à l'aube et beaucoup d'entre nous chantent et dansent sur quelques passages debout avant de se rasseoir pour trinquer et s'marrer : Une ambiance authentiquement unique.

Je le laissai jeter un œil sur la décoration faite de boiseries, d’objets anciens, de photos, d’instruments de musique et d’affiches publicitaires de grandes marques d’alcools irlandais. Plus loin, accrochée au mur dans une petite cavité proche des WC, une télé diffuse du football gaélique sans le son. C'est un sport Irlandais : un mélange de rugby et de football. Il est moins violent que ces derniers, puisque le plaquage et le tacle sont interdits et nous en sommes particulièrement friands ici.

Je le guidai jusqu'au comptoir, au centre, à ma place habituelle : huitième tabouret en partant de la gauche. Avant de m'asseoir, je lui glissai un regard puis m'accroupis à sa hauteur. Sa main reste dans la mienne et tout en joignant gestes aux paroles, de ma main libre, je lui demandai son consentement pour le porter et l'installer à mes côtés.

Beaucoup de personnes croient qu'on peut manipuler un enfant à sa guise -à son bon vouloir- sous prétexte que les adultes éduquent et sont donc l'autorité suprême. Maman veut faire un câlin, alors elle embête son petit garçon qui jouait. Papa veut porter sa petite fille pour avancer plus vite aux caisses, et voilà que maintenant elle pensera ne plus être capable d'aller assez vite. J'en fais peut-être trop, mais je suis persuadé que tout est affaire d'égalité quel que soit l'individu.

Seulement lorsqu'il m'y autorisa, je le soulevai sous les bras, mon pouce se séparant des autres doigts jusqu'à la destination de son siège. Ceux-là n'ont aucun dossier alors je priai ma bonne étoile pour qu'il eût une suffisamment bonne motricité pour tenir assis sans mon aide ; ma main toujours proche de son dos pour faire barrière au cas où.

Après un sourire complice que je lui échangeai, le gérant -et aussi, par extension, un ami de longue date- s'approcha de nous.

(*) - Hi Pharell, Guinness mar is gnách. An bhféadfá cón friochta a chur leis an leanbh, le do thoil ?

Il ne pose aucune question. Pharell n'est pas très bavard ou au mieux, il ne se mêle pas de la vie des autres. On se check rapidement comme on le fait à chaque fois qu'il exécute ma première commande, moi qui dois un peu m'allonger sur le comptoir pour rejoindre son poing et lui qui évite de casser toute la verrerie en face en tenant son bras en équilibre au-dessus de la vaisselle. C'est une sorte de tradition dans la Taverne, tous les employés sont aussi proches des clients qu'ils le sont envers leurs amis, c'est la marque de fabrique 100 % Irlandaises ! Tout le monde est le bienvenu ici.

- Cet endroit te plaît ?

Je m'adressai à Angelo avec une question assez simple, mais qui engagea néanmoins parfaitement la conversation. On peut tout dire avec les enfants. De par leur manque de jugement, ils sont les êtres les plus neutres qu'on puisse y trouver et croyez-le ou non, mais je trouve cette faculté relativement apaisante. Pas d'artifices ou de faux-semblant, juste deux-êtres qui discutent en toute impunité.

Je me fis servir à la pinte et la mousse monta considérablement. Pharell la fait glisser le long du comptoir pour s'éviter un détour alors qu'il apporte un plateau à l'une des tables de la fosse.

La musique est réellement entraînante, alors, comme des clients tapent déjà aléatoirement des mains au son de notes particulières, j'en fais de même. De plus en plus de personnes suivent la cadence, les uns entraînant les autres.

Je reportai de nouveau mon attention sur Angelo et après un sourire taquin, je fis se rejoindre une fois mes mains, celles-ci au-dessus de ma tête. Ça sonne fort, comme la vie que m'inspire cette musique. Ça retentit, c'est la joie de vivre.

Une fois.
Sourire.
Une seconde fois.

Et encore et encore.

Attrapé par la mélodie qui envoya maintenant de la flûte, je me levai de mon siège et commençai à reculer de quelques pas pour me taper ma meilleure danse. Bras ouverts et genoux qui ont l'air de pétrir quelque chose, je reculai et j'avançai au gré de mes envies. Je martelai encore des mains, puis je reculai. Je fis du sur-place, je tournai sur moi-même dans un sens et ensuite dans le sens contraire, avant de frapper encore mes deux paumes. Dans mon sillage, je laisse plein de gouttes de pluie sur le parquet foncé, elles giclent même tout autour, s'invitant sur des tables, dans les boissons et sur les carreaux. Au moins, mes mouvements ont le mérite de me sécher plutôt rapidement.  

Une main dans le dos et l'autre en avant, je réavançai en me balançant légèrement de gauche à droite, invitant Angelo à me rejoindre, paume ouverte.

Il l'a déjà fait une fois, je sais qu'il peut le refaire encore.

____

* Salut Pharell, une Guinness comme d'habitude. Tu pourrais aussi ajouter un cornet de frites pour l'petiot, s'il te plait ?


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Trouvaille intéressante

Lundi 23 décembre 2013
Je ne sais pas si prendre la main de cet homme est une erreur ou non. Il est si calme depuis le départ… et quand je l’observe, son visage ne se déforme jamais. Bizarrement, le voir si calme à tout instant me permet de retrouver le mien. Doucement, je me détends et, avec beaucoup d’hésitations, je pose mes doigts dans la main ouverte qu’il me tend. Il ne bouge pas. Je le regarde un peu dans les yeux pour essayer de comprendre à quoi il pense. Mais il ne bouge pas. Pas du tout. Je me concentre donc un peu plus sur sa main. Elle est toute chaude sur mes doigts tous froids. Je laisse ces derniers glisser un peu plus dans sa paume pour profiter un peu plus de cette chaleur. C’est bien mieux que la pluie qui me donne l’impression de me frapper à chaque goutte qui tombe. Même si la main est un peu bizarre par la bosse que je peux voir dessus. Je la regarde, curieux de savoir de quoi il s’agit. Je crois que j’en ai aussi par endroit. Des cicatrices, je crois ? Je me demande comment il s’est fait ça et si ça lui fait mal. Mais je préfère rester silencieux pour le moment pour l’observer et comprendre ce qu’il veut de moi. Est-ce qu’il attend autre chose de moi pour rester sans bouger ? Je me sens un peu perdu...

Doucement, il commence à bouger alors que je commence à m’habituer à sa présence. Il n’enlève pas ma main de la sienne alors que je peux constater chaque étape qui lui permet de se mettre debout sur ses deux jambes. En fait, je sens même ses doigts envelopper les miens. Il ne serre pas. A aucun moment je ne ressens la sensation d’être emprisonné. J’ai l’impression que je peux fuir à tout moment si j’en ai envie. Mais… n’est-ce pas une simple illusion ? Vu qu’il est plus grand et plus fort que moi, si je tente de m’en aller loin de lui, il peut me rattraper très facilement. Non ? Il l’a déjà fait une fois. Pourquoi pas une seconde ? A moins que ce ne soit un coup de chance ? J’ai envie de savoir alors je regarde le monsieur en marchant à côté de lui. Il ne me tire pas pour aller plus vite. J’aime beaucoup ce geste, cela me fait vraiment plaisir. Alors, malgré mon essoufflement, je finis de manger ce qu’il me reste de pain au fromage doucement, respirant parfois par la bouche quand j’ai l’impression de manquer d’air. J’ai tellement faim que je suis sûr de pouvoir manger les frites aussi ! En plus on avait l’odeur avant, donc si elles sont plus jolies que celles dans la poubelle elles me donneront envie. Autour de nous, personne ne nous regarde. Moi, je le fais. J’aime bien essayer de comprendre ces inconnus. Mais celui que je regarde le plus c’est l’adulte avec moi. Je me demande où on va. Et aussi s’il n’a pas froid. Il est absolument tout mouillé et il fait comme si ce n’était pas vrai. Moi j’ai plein de vêtements pour me tenir chaud. Mais il m’a quand même donné son manteau que je me sert comme cape. C’est bien parce que comme ça la pluie me mouille moins. Je n’aime pas être mouillé.

Après un moment, on descend un escalier pour aller devant une porte. Je me demande où on est. Je ne suis jamais allé ici, moi. Je reste un peu en arrière quand il ouvre la porte. J’ai un peu peur. Il y a quoi derrière la porte ? Je crois que j’entends des voix. Je regarde un instant le monsieur aux cheveux courts et noirs avant d’avancer comme il me le demande. Suis-je en train de faire une bêtise ? En découvrant le lieu, je pense immédiatement que ce n’est pas le cas. Les yeux écarquillés, je regarde autour de moi alors que la musique m’apaise puisqu’elle n’a absolument rien d’effrayant. Il y a des gens partout et quel que soit le regard que je regarde, ils ont tous le sourire. Tout semble fait de bois et il y a plein de cadres accrochés aux murs. Mais ce que je remarque aussi, c’est tous les rubans colorés. Tous ceux qui sont mauvais partent vers la porte et ça aussi ça m’aide à avancer avec le monsieur jusqu’à la grande, grande table en bois avec beaucoup de tabourets. J’ai un peu mal à la tête mais c’est moins pire que dans la rue où il y a toujours énormément de rubans partout avec toujours trop d’informations. Alors, je regarde partout en marchant dans la grande pièce chaleureuse.

On est au milieu de la table et je n’ai pas lâché du tout la main du monsieur. J’ai envie de m’asseoir, mais les tabourets sont très hauts. Je pense essayer de monter tout seul et je mets une main sur le plus proche de moi quand je sens un mouvement à côté de moi. Je n’ai plus à lever les yeux pour regarder les yeux marrons de l’adulte car il s’est accroupi à côté de moi. Il me pose alors une question et je lui fais face pour l’écouter. Ma tête se penche un peu sur le côté. Pourquoi il me pose la question ? Pourquoi il ne fait pas comme il a envie ? Enfin… Comme cela ne me déplaît pas, je hoche la tête et le laisse faire pour me mettre sur le tabouret. Je suis un peu surpris par sa manière de me porter, mais ce n’est pas désagréable. Pas du tout même. Assis sur le tabouret, je balance joyeusement mes jambes alors que je regarde encore autour de moi. C’est marrant de voir autant de monde parler ensemble comme ça. J’ai toujours vu les gens s’ignorer quand j’étais dans la rue. Ou il y avait des petits groupes, mais jamais autant de personnes. En plus, il y en a qui dansent parfois ou qui chantent. Ça donne envie…

Du coin de l'œil, je vois un autre monsieur s’approcher. Je sursaute alors que je tourne la tête pour vérifier car je ne m’attendais pas du tout à le voir. Je pensais que c’était encore une illusion. Mais je préfère faire comme si je n’avais pas peur et je regarde les deux ensemble. Je ne comprends pas du tout ce qu’ils disent et je n’aime pas ça du tout. Alors, pour me consoler, je porte mon attention sur le ruban entre eux deux. Le monsieur à la main chaude s’appelle Connor et l’autre qui est derrière la table Pharell je crois. Les deux sont des amis, donc monsieur Connor doit aller très souvent ici. Je souris un peu en continuant de les regarder.  J’aime beaucoup quand ils tapent leurs mains. J’ai envie de faire la même chose. Mais je garde mes bras croisés sur la table parce que je ne sais pas comment les mettre autrement. Je me sens bien ici. Ce que je ne me prive pas de révéler au monsieur en hochant la tête :

Beaucoup !


Mon regard se pose sur un très gros verre qui glisse sur la table. Le verre est pour monsieur Connor mais ce qui m’attire le plus est le fait qu’on puisse faire glisser ça de cette manière. Moi aussi je veux le faire. Ça a l’air super amusant ! Je me demande si je peux moi aussi le faire.

Soudain, j’entend un claquement juste à côté de moi. Il y en a d'autres dans la salle, mais je ne m’attendais pas à en entendre un tout près de moi. J'ai eu peur et je sens mon cœur battre la chamade. En voyant que c’est le monsieur avec moi qui tape des mains comme les autres, je me sens rassuré. Mais pourquoi font- ils ça ? En faisant un peu plus attention, je me rends compte que tout cela va avec la musique qu’on entend. Nous nous regardons un peu et il recommence, mais avec les mains au-dessus de sa tête. J’ai l’impression qu’il s’amuse. Moi aussi si je le fais je vais m’amuser ? En me relevant, j’essaie de faire comme lui en gardant mes mains près de mon ventre. C’est difficile de faire en même temps que tout le monde… Surtout que je regarde le monsieur se lever et danser en plus. Je n’ai pas l’habitude. Mais, bizarrement, j’aime beaucoup ça. Le voir bouger, parfois avancer ou reculer, et même tourner sur lui-même, c’est trop bien ! Alors, quand il vient vers moi et me tend la main, je n’hésite pas beaucoup. Je me laisse glisser par terre et pose le manteau que j’ai encore sur la tête sur le tabouret avant de prendre sa main. Je souris parce que j’ai hâte de danser. Mais…

On fait c-comment ?


Mais !! Pourquoi je n’ai pas parlé comme il faut ?! Je n’aime pas ça. Mais ce n’est pas grave. J’ai juste envie de danser ! Alors, même si je m’essouffle vite et que j’ai un peu la tête qui tourne, je fais comme monsieur Connor me dit de faire. La musique est trop bien et j’aime beaucoup faire ça. C’est la première fois je crois.

A la fin, je tombe sur les fesses. Même si je reste un peu surpris au début, j’éclate de rire et me relève. J’ai du mal à reprendre mon souffle, mais je ne pense pas que c’est important. Ça me fait la même chose quand je cours, donc ça doit être pareil.
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(c) Angelo Romero
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Trouvaille intéressante

Angelo n'a pas l'air très rassuré par les bruits alentour et je pus le comprendre aisément. En partant de la probabilité qu'il n'ait connu que les venelles sombres, les poubelles putrides et les talons des gens qui claquent sur l'asphalte à toujours l'ignorer sa présence, les endroits plus lumineux et chatoyants d'inconnus qui s'amusent tous les uns avec les autres bousculent les habitudes qu'il a prises pour acquises.

C'est ce que je cherchai à lui prouver : sa réalité est biaisée par le malheur. La vraie vie, elle est ici, à la Taverne. Je ne connais pas de meilleur remède que l'Irlande !

Angelo est intrigué, mais pas peureux pour un sou. Au contraire, ce gosse a tellement de ressources intérieures que chacune de mes actions, pourtant pas toutes dictées à les exploiter, me prouve encore qu'il a un véritable potentiel. Il n'intervient que rarement verbalement ou du moins, semble uniquement le faire lorsqu'il y trouve un intérêt quelconque ou qu'on s'adresse directement à lui. Plus observateur que curieux, le petiot recopia d'abord les gestes des mains qui s'entrechoquent de son tabouret et put accueillir un sourire encourageant de ma part.

Levant son voile de timidité, le nationalisme de la musique celtique le harponna aussi dans ses filets emblématiques. Abandonnant veste et possible honte du regard, Angelo attrapa ma main et se laissa guider par mes pas au début. J'attrapai son autre main et fis se croiser nos bras en unité rythmique avec le tempo diatonique aux altérations modérées.

L'exaltation du sentiment du pays se retranscrit dans tous les gestes des habitués d'ici, parmi chaque claquement de main, chaque claquement de semelles contre le parquet en bois verni. Angelo ne connaissait rien de tout ce qui l'entourait, mais je sentis que les racines de mon patrimoine soufflaient en lui comme quelque chose d'agréable.

- Tu te débrouilles très bien !

Répondis-je à ses craintes en lui ébouriffant gentiment les cheveux. Les enfants n'ont pas nécessairement besoin d'entendre qu'ils sont les "plus forts" ou les "plus courageux" la validation de leur acte passe mieux si l'adulte appose un réel sentiment derrière.

- J'aime quand tu danses avec moi.

Je lui tendis mon coude et pointant du doigt ceux qui, par paires, imbriquaient leur bras les uns dans les autres avant de bifurquer pour changer de partenaire, les changements dépendant des temporisations vocales en "Hey" "Hey" de Pharell qui s'amuse maintenant avec nous tout en poursuivant son service.

En ce qui nous concerne Angelo et moi, nous ne faisons qu'inverser la position de nos bras, continuant de nous tourner autour encore et encore. Toujours et sans pause, la sueur ruisselant de mon front ainsi que du bas de mon dos jusqu'à ce que, ses petites mains n'aient plus la force de s'agripper à moi et qu'il tombe à la renverse.

Mon rire est à moitié-franc. Les cascades des gens maladroits n'ont jamais su provoquer de moqueries spontanées chez moi. Je suis plutôt du genre à m'inquiéter de leur état que de me rire de la situation, mais puisque les enfants sont sensibles aux réactions de leur entourage, autant ne pas l'inquiéter inutilement, d'autant plus qu'il semble ne pas s'en faire lui-même.

J'approchai ma main pour lui servir d'appui seulement s'il valide mon geste en consentant à l'aide qu'elle tente de lui bénéficier.

- fries don chuntar! fries don chuntar! fries don chuntar!

- Les frites sont arrivées !

Lui traduisais-je à sa hauteur, mes coudes se reposant sur mes genoux le temps de souffler un peu. J'inhalai encore un peu d'air frais avant de m'essuyer le front du dos de la main et de porter de nouveau Angelo sur son tabouret.

(*) - Go raibh maith agat !

Pharell joignit index et majeur sur le milieu de son front avant de pointer ses deux mêmes doigts dans ma direction en guise de réponse. Je lève ma pinte à son honneur et bois une grande gorgée.

Me voilà maintenant endetté d'un cornet de frites. Bien que ce soit une offre de la maison, je ne pus me résoudre à accepter sans tendre la main à mon tour. Je crus comprendre que Pharell aurait prochainement besoin d'un plongeur pour une nuit ou deux et je pourrai bien être ce type qui le dépanne.

En attendant, ma mâchoire trouve son chemin sur mon poing pendant que mon coude s'allonge de plus en plus sur le comptoir. Je commençai à être plutôt épuisé et l'alcool n'arrangeait pas mon état, ni à me garder pleinement concentré. Je dus refuser le robinet qui s'ouvrit pour verser son or ambré d'un geste catégorique. La serveuse comprit ma décision bien qu'elle ne soit pas prise contre la Guinness que je peux descendre par tonneau habituellement. Ici, on peut remplir ton verre même si est encore à moitié plein, jusqu'à ce que tu finisses par t'endormir sur la table ou que tu ne te réveilles pas. Chacun doit connaître ses limites mais aussi celle de son portefeuille, au risque d'avoir de sacrées surprises.

Mais ce ne sont ni l'un ni l'autre qui actent mon refus. Le fait est que j'ai un nouvel être sous ma responsabilité désormais et le voir dépendre de moi de la sorte m'empêche de me perdre dans mes anciennes libertés de jeunesse.

_______________________________________

(*) Merci beaucoup !

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Trouvaille intéressante

Lundi 23 décembre 2013
J’ai envie de faire comme tout le monde. Ils ont l’air de bien s’amuser ! C’est pour ça que je laisse la veste et que je descends du tabouret pour prendre la main de Connor. En plus, j’aime beaucoup sentir sa peau toute chaude. Nous allons donc un peu plus loin et, nos bras croisés en nous tenant la main, nous faisons des pas qui vont vite. J’essaie de faire comme lui, de me concentrer pour ne pas le gêner et m’amuser, mais je ne suis pas sûr de bien faire. Je m'inquiète de cela en demandant ce que je dois faire. Je m’attends à des explications, un exemple ou quelque chose comme ça. Je me dis que, comme ça, je pourrais reprendre mon souffle avant de continuer. Mais il ne le fait pas. J’aurais pu croire qu’il ne le veut tout simplement pas dans d’autres circonstances. Là, il approche une main de ma tête. J’ai un peu peur sur le coup et je ferme fortement les yeux en m’attendant à ce qu’il me fasse mal. Mais rien, j’ouvre alors prudemment un œil alors qu’il me caresse les cheveux dans tous les sens. Puis, les deux alors qu’il m’affirme que je fais bien les choses. Cela me fait vraiment plaisir. Moi aussi j’aime danser avec lui et un sourire rayonnant étire mes lèvres. Je m’amuse beaucoup !

Un instant, je regarde le coude qu’il me tend avant de lever les yeux sur Connor en penchant la tête. Pourquoi il fait ça ? Qu’est-ce que ça veut dire ? Je remarque alors son doigt qui pointe quelque chose et je tourne le regarde dans la direction indiquée. Je peux alors voir des gens qui sont amis ou qui ne se connaissent pas tourner ensemble, dans un sens et dans l’autre, en se tenant par le coude. Ça a l’air trop marrant !! Je veux le faire moi aussi !! Vivement, j’attrape son coude avec le mien et je suis le rythme qu’il me donne sans ralentir. Je sens que je suis très essoufflé très vite, que j’ai la tête qui tourne de plus en plus. Mais je ne veux pas m’arrêter. Je m’amuse bien trop ! Quand on change, j’aime la sensation de liberté que je ressens, que je peux faire tout ce que je veux et m’amuser sans que personne ne me dise que c’est mal. C’est enivrant. Malheureusement vient le moment où mon corps ne suit plus. Porté par le vertige que je ressens et la vitesse de la danse, je tombe à la renverse sur le sol, sans pouvoir me rattraper. Au début, je suis sonné. J’ai un peu de mal à respirer. Je respire alors doucement, comme j’en ai pris l’habitude quand je vais mal dans la rue, et attends un peu que j’aille un peu mieux.

Quand je me sens un peu mieux, même si mon coeur bat vraiment très, très vite, je vois Connor en face de moi qui me tend la main. Je la prends sans hésiter et m’aide en m’appuyant sur lui pour me relever. Je continue à me tenir à lui quand il s'accroupit pour ne pas tomber encore une fois. Lui aussi a du mal à reprendre son souffle, même quand il me dit que les frites sont arrivées. Lui aussi il a parfois mal dans la poitrine ? Je l’observe pour l’aider s’il me montre qu’il va mal, ce qui n’arrive pas. Il se relève et nous pouvons aller vers les tabourets pour nous asseoir. Encore une fois, je laisse le brun m’aider et je peux trouver, posé juste en face de moi sur le comptoir, des frites que je regarde avec admiration. Elles sont belles ! Bien jaune et tout ! J’en prends une que je croque à pleines dents. C’est chaud ! Je souffle un peu avant de mâcher la bouche ouverte. Mmh !! Trop bon !!

Continuant de manger, je regarde Connor quand il parle encore cette langue bizarre. Même avant qu’il me dise que les frites étaient prêtes, de drôles de mots ont été dits. Je penche légèrement la tête en regardant les deux amis échanger des gestes. Et, quand Pharell est partit, je regarde encore le monsieur qui m’a emmené là pour essayer de redire ses propres mots bizarres :

Go rèbe maïte agathe ?


On dirait une formule magique. Je me demande elle fait quoi. J’aimerais une formule qui me dise où est maman. Elle me manque beaucoup et je suis certain qu’elle adorerait être ici. Peut-être que comme ça elle ne pleurerait plus. Je ne me souviens plus de son sourire. Je suis sûr qu’elle est très jolie quand elle sourit.

En mangeant mes frites, je regarde autour de moi. Mais, cette fois, mes yeux s’attardent sur les personnes qui dansent. Je regarde les rubans qu’il y a entre eux. J’ai un peu mal à la tête, mais c’est beaucoup moins que quand je suis dehors. Là-bas, j’ai toujours très mal à la tête et je dois très souvent fermer les yeux. C’est pour ça que je reste toujours dans les rues où il n’y a pas beaucoup de monde. Au moins, comme ça, je vois moins de rubans. Là aussi, il y en a beaucoup et il y a tout autant d’informations que je comprends naturellement. Quand j’ai trop mal, je regarde le comptoir à nouveau. Mais c’est pas la douleur la plus forte qui est à la tête. En mangeant, j’ai du mal à respirer et, de plus en plus, j’ai très mal à la poitrine. J’ai des picotements dans la main aussi. Je n’aime pas ça. Je frotte parfois mon bras. Mais, au fond, c’est vraiment ma poitrine qui me pose un problème. Au point que je finis par arrêter de manger pour mettre mes deux mains dessus. Penché en avant, j’essaie de respirer. J’ai la tête qui tourne de plus en plus. J’étouffe. Je tente de me relever, mais, avec mon vertige, je tombe. Je n’ai pas peur. Je suis juste surpris, comme lorsque je suis tombé en dansant.
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(c) Angelo Romero
Connor O'Brian
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Trouvaille intéressante Cccc530e11e62b3de60884578120610c

Trouvaille intéressante

La liberté Irlandaise se répandait encore entre les uns et les autres et j'eus l'impression qu'Angelo y goûtait de plus en plus, s'intéressant à la danse, observant autour de lui et maintenant en répétant -à sa hauteur- mon dialecte.

J'éclatai de rire face à tant de spontanéité. Mon dos déjà un peu courbé se redressa d'un coup sec pendant que ma tête partie en arrière. J'ai toujours eu un rire fort, gras et retentissant qui interpelle, et m'a donné pas mal de problèmes dans cette société où tout le monde doit être dans une monochromie d'attitude, mais cette fois-ci, Angelo est le seul à en être témoin.

- Non ; "raibh maith agat." le corrigeais-je sympathiquement en décortiquant chacune des syllabes afin qu'il les assimile. Ça veut dire, merci beaucoup.

La faculté d'apprentissage des enfants m'a toujours agréablement étonné. En plus d'être particulièrement prompt à se remettre de blessures émotionnelles si on les encadre parfaitement et d'accepter la réalité crue du monde si on y met les formes, ceux curieux peuvent apprendre des quantités d'informations que même un adulte ne pourrait supporter. J'aime savoir qu'Angelo s'intéresse à l'Irlande et pas particulièrement parce qu'il se sent redevable d'une quelconque manière, mais parce que c'est vrai. Il vit sans filtre, au gré de ses envies et dit ce qui lui passe par la tête : comme un enfant.

Je lui piquai une frite ou deux pour picorer, trempant la boisson, la meilleure des sauces aromatiques. Soudain, et du coin de l'œil, je remarquai que le petit blêmit. La lenteur avec laquelle les frites coulaient dans son œsophage n'avait rien de quelqu'un qui prenait un petit plaisir à en savourer toutes les saveurs. Je ne suis pas quelqu'un avec un fort don pour l'anticipation. Mon monde physique et ce que je vois en temps réel l'emporte sur les spéculations. Au lieu de penser que les frites étaient probablement trop salées pour lui, j'eus le réflexe de lui tapoter le dos, comprenant qu'il s'étouffait.

- Respire Angelo, respire.

Mais hélas, mes conseils ne menaient en rien. Je le vis tourner de l'œil et eus le réflexe de jeter mon bras sur le côté afin d'amortir sa chute. D'abord, ce fut sa tête qui bascula contre ma main puis tout son corps se raidit entre mes doigts. Nous tombâmes doucement contre le parquet, comme si le temps avait, lui aussi, ralentit son souffle. Je suis impuissant. Terriblement impuissant. Je sais qu'il ne faut jamais secouer un enfant, mais j'essaye, juste un peu, enlaçant son corps encore tiède contre ma poitrine. Mes bras viennent en soutien derrière son dos et son crâne alors que je continuai de le faire revenir à lui.

- Angelo, reste avec moi. Reste avec moi. Hé petit gars. Petit gars, debout.

Mon problème, c'est que malgré mon timbre de voix qui se modère afin de l'appeler au retour, mon visage lui, n'arrive pas à mentir. Étroitement attentif aux moindres signes, je vins placer deux doigts proches de sa carotide jugulaire à la recherche d'un poult. Celui-ci est existant mais effroyablement faible.

Ce fut hors de ma portée ; je restai concentré sur l'idée qu'il y a une seule bonne réponse au problème, ce qui me coinçait dans mes tentatives inefficaces pour parvenir à une solution objective.

- PHARELL !

Ma belle grosse intonation Irlandaise traversa la pièce, balayant les chants et les danses, perçant le mur du son pour tout fracasser dans son sillage. Plus un seul murmure, ce n'est que la répercussion de mon appel à l'aide. Naturellement, les gens s'inquiétèrent autour de nous et commencèrent à s'approcher pour aider, tous, à leur niveau. Mais Pharell est bien plus prompt à l'action que moi. Il distribua les ordres à Fanny qui fut en charge de calmer les moult interpellations des clients et de les faire reculer, tandis qu'il me fit signe de venir le rejoindre, choppant ses clés à la volée.

Je sais qu'il a sa chambre à l'étage -ce gars travail et vit dans le même bâtiment- alors, j'attrapai Angelo et me redressai sur mes deux jambes. Durant tout le trajet, je ne cessai de lui adresser des paroles, le déplaçant légèrement le long de mes bras pour lui faire reprendre conscience. Ma victoire résidait dans le fait qu'il remuait parfois un peu contre moi et je lui souris en guise d'encouragements.

- Hé bonhomme... c'est bien, on va aller s'allonger.

J'ignorai s'il savait ce que je disais, les circonstances de son accident ou du je-ne-sais-quoi qui lui arrivait étaient encore inconnue, tout comme le diagnostique que je ne pus apposer.

Les escaliers sont très étroits. Si étriqués qu'on ne circule qu'à la queue leu leu. Pharell déverrouille la première porte en bois peinte de blanc. Les espèces de petits miroirs divisés en plusieurs cristaux jaunes incrustés dans la porte donnent l'impression d'une plus grande luminosité, alors que les deux applis contre le mur-moquette rendaient l'âme.

On bifurqua de suite à droite pour saisir la deuxième porte parmi toute une rangée uniformément ennuyeuse, rien à voir avec celle de l'entrée. Nous y pénétrâmes et de suite, une espèce d'odeur de renfermé embauma la chambre. Volet clos, radiateur inexistant, il semblait avoir une passion malsaine pour les manteaux de fourrure car ici, il y en a plus d'une vingtaine sur une commode, contre une chaise et surtout, sur l'intégralité de son lit.

Pas l'temps de penser, je posai Angelo sur le matelas constitué de poils synthétiques et réclamai un plaid supplémentaire au gérant du pub.

- Tu as froid ? Chaud ? Les deux en même temps peut-être ?

Je mis des mots sur ses maux afin qu'il puisse m'aider à identifier son problème, mais tout comme je sais d'avance dans quel état mon père se trouve à chaque fois qu'il fait des crises de fièvre froide, je sus déjà ce qui était le mieux pour Angelo.

Pharell avait son téléphone en main, prêt à appeler les urgences, et je dus mettre un terme à son initiative. Mon ton fut plus bourru que je ne l'aurai voulu, mais mon ami n'est pas du genre à prendre en compte ce genre de détail superflu.

(*) - Is leanbh sráide é. Má ghlaonn tú 911, fiosróidh duine éigin é. Is fearr liom é a choinneáil faoi mo fhreagracht.

Un hochement de tête entendu scella une promesse tacite qui n'a pas besoin d'être exprimé autrement. Je dus prendre les commandes et lui demanda à boire ainsi qu'un gant imbibé d'eau froide.

Le temps que Pharell disparaisse, je fus seul avec Angelo. Accroupis près du lit, ma main coulissa sur son front, délogeant les quelques mèches de cheveux qui lui entravaient le visage. Son teint était légèrement blême, mais ses petites joues roses reprenaient leur droit et eurent le pouvoir d'atténuer mon inquiétude.

- Ça va mon grand ?

Plus de peur que de mal au final.

__________________________________

(*) C'est un enfant des rues. Si tu appelles les urgences, quelqu'un lancera une enquête sur lui. Je préfère le garder sous ma responsabilité.

Angelo Romero
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Trouvaille intéressante

Lundi 23 décembre 2013
Je me demande ce que sont ces mots bizarres que monsieur Connor a dit. Ceux qui ressemblent à une formule magique. Est-ce que si je les dis moi aussi alors quelque chose de bien arrivera ? Je l’espère ! Après tout, il y a eu beaucoup de douleur dans ma vie. Et si c’est pour les autres, donner du bon à cette personne me ferait plaisir, sans doute. Il est bon avec moi depuis qu’il m’a trouvé. Au lieu de me gronder, me crier dessus, ou me chasser, il me donne à manger, me prend la main, me sourit, me fait voir de belles choses… et la liste est encore bien longue. J’aimerais que tout ça ne s’arrête pas. Qu’il reste avec moi. Mais, à tous les coups, ce n’est pas possible. J’en suis sûr, il s’occupe de moi maintenant, mais après il va me laisser. Parce que les adultes qui donnent quelque chose à un enfant comme moi ne restent jamais. Ils préfèrent ne pas devoir s’occuper d’un enfant sale comme moi. Ça doit être pareil pour lui. Alors, j’imagine qu’il va après me laisser quelque part ou me donner à quelqu’un d’autre. Bizarrement, je doute qu’il soit un menteur comme le méchant qui m’a pris ma maman.

Les mots veulent dire “merci beaucoup”. C’est ce que monsieur Connor me dit. J’essaie encore une fois de les dire, d’abord dans ma tête, puis à l’oral pour qu’il sache ce que je ressens pour ce qu’il a fait jusqu’à maintenant :

- “Raibh maith agat”, m’sieur Connor.


Finalement, c’est bien une formule magique. Maman disait que dire “merci” et “pardon” c’était comme dire une formule magique importante qui guérit le cœur des autres. Je suis donc très content et très fier de moi pour l’avoir dit même sans savoir ce que ça voulait dire. Je reprends donc la dégustation de mes frites en regardant autour de moi. De plus en plus lentement pour essayer de reprendre mon souffle. C’est difficile, mais je le cache comme je peux pour me concentrer sur ce que je vois. C’est plus intéressant et drôle ! Surtout en voyant les inconnus danser sur la musique entraînante et jouer à des jeux que je ne connais pas. Les voir même simplement rire comme monsieur Connor un peu plus tôt est communicatif. Ça me donne envie de faire pareil. J’ai eu peur quand le monsieur s’est redressé d’un coup, j’ai cru que j’avais fait quelque chose de mal. Mais l’entendre rire au lieu de crier m’a énormément enlevé un poids. Assez pour que je me sente vexé. Maintenant, ça va mieux même si je ne veux plus qu’il rit parce que j’ai mal dit quelque chose.

Après un moment, je commence à avoir trop mal pour regarder autour ou manger. Respirer est trop difficile. J’ai envie de pleurer, mais je ne veux pas qu’on me voit le faire. Il y a trop de personnes qui peuvent me voir ici ! Alors j’essaie de respirer de toutes mes forces. Je sens à peine la main dans mon dos. Je n’y fais pas attention même si j’ai l’impression de ressentir des échos dans ma poitrine. C’est désagréable. Je n’aime pas ça. Je n’arrive pas à le dire. Et le monsieur à côté de moi me dit de respirer. J’essaie ! J’essaie mais je n’y arrive pas ! M’en rendre compte me fait peur et j’essaie de me relever. Peut-être que ça va m’aider ? Je l’espère… Mais quand je suis assez droit, tout tourne autour de moi et je sens que je n’arrive plus à réfléchir. Très vite, tout devient noir autour de moi. J’ai l’impression de sentir des sensations comme si on me bougeait, mais je n’arrive pas à savoir comment. Et, surtout, j’entends des voix. Parfois elles disparaissent, certaines crient, surtout une qu’il me semble reconnaître et qui est toute proche, elles reviennent après avoir cessé un moment. Je n’arrive pas vraiment à les comprendre de toute façon. J’ai envie de dormir. J’ai envie qu’on me laisse tranquille…

Je sens de plus en plus que je bouge. Je crois que je suis contre quelqu’un. Mais tout est encore noir autour de moi. Je n’arrive pas encore à ouvrir les yeux. Je me sens très fatigué. Comme si j’avais couru pendant très, très, très longtemps. Parfois j’arrive à prendre une plus grosse inspiration. Ou je bouge un peu mes doigts pour essayer de les sentir. Je me sens lourd… Mais la voix qui a crié un peu plus tôt m’empêche de me laisser aller. Il m’appelle. Je crois ? Je ne m'appelle pas “bonhomme”, alors ce n’est pas moi. Je ne sais pas ce qu’il se passe. Je dois comprendre. Doucement, j’essaie d’ouvrir les yeux. Mais c’est dur. Très dur ! Alors, c’est que quand je suis allongé sur quelque chose de moelleux que j’y arrive un peu. Je ne vois pas bien, mais je crois que je reconnais monsieur Connor. Il me parle pour me demander un truc.

- Froid…


Ma voix est traînante. Je ne suis pas sûr qu’il m’ait entendu. J’ai l’impression que ma voix n’a pas prononcé la première moitié de ce mot que je viens d’essayer de dire. Mais il doit comprendre parce que je crois sentir qu’on me met quelque chose sur moi. J’ai encore froid, mais, alors que j’essaie de comprendre ce qui se passe autour de moi, ça commence à aller un peu mieux. C’est difficile de savoir ce qu’il se passe. Les monsieurs autour parlent pas beaucoup et parfois avec des mots que je ne comprends pas, comme quand Connor a dit “merci beaucoup”. En tout cas, le monsieur aux cheveux courts et noir reste avec moi, à côté de moi. Il me regarde et il bouge mes cheveux sans les attraper. C’est trop bizarre. Je ferme les yeux quand je sens ses doigts sur mon front. Puis, il me pose une autre question. Je prends un moment avant de hausser un peu les épaules et me tourner sur le côté, comme pour faire face à Connor. Je suis fatigué et j’ai encore froid. On est loin de l’ambiance que j’aime beaucoup…

Alors que je reste silencieux, je me rends compte que j’ai encore mal à la poitrine. Et un peu dans le bras aussi. Je ne veux pas le dire. Ce n’est pas bien de dire qu’on a mal. On m’a toujours grondé quand je le disais, quand je criais… Je ne veux pas qu’on me gronde. Puis, c’est pas grave, hein ? J’ai juste mal. Ça va passer comme toujours. Je veux croire que ce sera le cas.
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